Nous sommes nombreux à nous poser la question de comment travailler malgré les interruptions. Mathilde (prénom d’emprunt) partage un point commun avec 48% de la population active du pays: elle souffre d’être interrompue en permanence pendant son travail. C’est la principale cause de stress chronique en Suisse. Responsable d’une unité informatique dans une banque privée, Mathilde est réputée pour son professionnalisme et sa capacité à trouver des solutions. C’est donc volontiers vers elle que les collaborateurs de son entreprise se tournent quand ils ont besoin d’une information. La plupart du temps, les demandes ne concernent pas directement son cahier des charges, ce qui la fait bondir. Elle avoue que plus d’une fois elle a invité énergiquement son correspondant à vérifier son répertoire interne. Elle s’en veut après et garde un mélange d’irritation et de culpabilité. Elle désire savoir comment travailler malgré les interruptions.
Un cadre est en moyenne interrompu toutes les huit minutes, un employé toutes les douze minutes. Ces sollicitations incessantes ne sont pas sans conséquences: diminution de la capacité de concentration et d’attention, surcharge cognitive, augmentation du stress, des frustrations et de la pression du temps. La productivité est aussi affectée, il faudrait en effet vingt-cinq minutes pour retrouver sa concentration dans le dossier, selon une étude universitaire. Le temps d’être dérangé trois fois…
Les mécanismes
Un des facteurs qui empêchent de se concentrer rapidement dans la tâche est l’émotion provoquée par le stress et non l’interruption elle-même. Quand on se plonge dans un dossier, on est vite concentré, il n’est pas nécessaire de «chauffer» son cerveau pendant vingt cinq minutes. Par contre, l’irritation ou la sensation d’urgence – des émotions résiduelles – perturbent la concentration. Quand on est empêché de réaliser une tâche, un mécanisme de résistance s’enclenche: même si on se tourne vers l’interlocuteur coupable de dérangement, une partie de notre esprit veut rester, ou rapidement retourner, vers la tâche en cours. On n’est donc pas totalement concentré sur le nouveau sujet, ce qui surcharge le mental.
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Cette dissonance cognitive se reproduit ensuite: on cherche à se reconcentrer, mais les circuits attentionnels sont encore stimulés par l’émotion. On pense à «ces foutus collègues qui dérangent sans cesse» ou qu’il est «impossible de travailler dans ces conditions». Ces ruminations peuvent durer un bon quart d’heure, durant lequel nous pouvons à nouveau être interrompu, ce qui ne fait que renforcer notre agacement et détourne nos pensées de notre objectif.
S’engager dans la non-résistance
Je propose à Mathilde de changer sa réaction face aux interruptions, puisqu’elle ne peut les diminuer, et de se concentrer sur la non résistance. S’engager dans la non-résistance, c’est accepter de se tourner à 100% vers la personne qui nous interrompt, comme si cela faisait partie du flux normal des activités qui s’enchaînent dans une journée. Cette attitude permet de diminuer une partie des émotions négatives. Pour la favoriser, elle désamorce la mise en tension corporelle causée par le stress en respirant profondément et en relâchant le haut du corps à l’expiration. L’esprit reste serein quand le corps est calme. J’invite aussi Mathilde à voir ces interruptions sous un autre angle en lui posant la question: «Si plus personne ne vous appelle, qu’est-ce que ça pourrait vouloir dire?» Elle me répond: «Probablement que je ne suis plus une personne de référence» et comprend qu’elle peut voir ces appels incessants comme autant de marques de confiance. Depuis, elle profite de ces «interruptions» pour entretenir de bonnes relations avec ses collègues et se sent moins débordée, donc moins stressée.
© Denis Inkei
(Article publié dans le magazine Bilan N° 16, 13 septembre 2017)